Prof fané
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit...
Ils vont à l'école. Le problème c'est qu'ils sont profs.
Aux dernières nouvelles, les chanceux diplomés du CAPES (certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré) et de l'agrégation de l'année, ont pris leurs postes vaillamment sans formation professionnelle. Ils étaient plus de 8000 jeunots à tenter l'aventure d'un métier que l'on sait difficile sans toutes les armes fondamentales. Plongés dans la galère dès la rentrée, certains se sont noyés en silence.
La réforme de l'Éducation Nationale entamée par Xavier Darcos, a été bouclé par l'affable Luc Châtel. Pour faire taire les "mauvaises langues", ce dernier ressassait en septembre sur tous les médias que les nouveaux professeurs ne seraient pas seuls. C'est vrai. Ils ont eu entre une et quatre journées de formation fin août (pas de la gnognotte quoi), ce que ces heureux bénéficiaires ont rapidement renommé "Journée d'accueil" (comprenez, conseils vite-fait autour d'un gobelet de jus d'orange ED). En plus, M. Châtel rappelait que chacun aurait la possibilité de communiquer avec son tuteur. Sachant que les profs déjà en place ne se sont pas précipité pour ces heures supplémentaires au rabais, que les volontaires ne sont pas forcément dans le même établissement que leur poulain (!), qu'ils ont aussi un travail prenant... Donne-moi ta main et prends la mienne dans les dents.
Balancés au ras des fesses au petit "bonheur" (absence de préparation, temps de trajet délirant, frais d'hébergement, perte de repères) les nouveaux déchantent. Le plus beau cadeau : pas d'entrée progressive dans le métier comme pour leurs ainés. Les capéciens et agrégés version 2010, certes au bagage universitaire plus balaise (Bac +5) n'ont jamais vu un élève et commencent à temps plein dans des bahuts plus ou moins "chauds". Ils ont de l'envie et des belles idées d'apprentissage, car heureusement on fait encore ce choix de vie par goût. En revanche, cela ne pèse pas lourd face à des classes au niveau chancelant, à l'ambition cassée, à des élèves conscients de leur avenir suspendu. Comment faire passer l'amour des mots, l'attachement au travail valorisant à des enfants quelquefois violents, souvent absents (du moins mentalement) et toujours appelés ailleurs ?
Des enfants pour gérer des enfants, les uns pas sûrs d'eux, les autres déjà usés. C'est cette rencontre du 3e type qu'a provoqué cette réforme de l'Éducation Nationale. Bonus à peine caché pour le gouvernement, la marginalisation des vieillots IUFM (Institut de Formation des maîtres) et l'économie de 16 000 postes d'enseignants. La guerre des chiffres n'aura pourtant pas lieu tant les drames engendrés n'intéressent pas les journaux et les politiques. Tout au plus, le SNES (Syndicat National des enseignants du second degré) laisse entendre qu'il y aurait "six arrêts maladie dans l'académie de Lille et 22 dans celle de Créteil. Ni plus ni moins que l'an dernier, affirme le Ministère de l'Education nationale, sans plus de précision" (France Inter, il y a une semaine). Une formatrice IUFM de Créteil parle elle "de dizaine et dizaine de démissions".
D'un côté ou de l'autre du bureau, il est plus sûr de voir simplement des générations sacrifiées. Toujours est-il qu'il n'est plus temps des contemplations.